MDCQ
Étienne-Alexandre distingue clairement l'identité québécoise et l'indépendance du Québec. Dans les années 60, l'idée d'indépendance politique (constitutionnelle) était liée à celle d'identité québécoise, plus précisément même à cette nouvelle identité que se découvrait le Québec au sortir de la grande noirceur. L'indépendance représentait l'émancipation de ce peuple québécois soumis depuis 1760 à l'hégémonie anglaise appuyée par ses élites et son clergé. Ce mouvement indépendantiste était clairement identitaire (identité nationale) et s'enracinait dans un récit historique complet tel que ravivé par Lionel Groulx, Séguin, etc. Et même les Libéraux de l'époque (Lesage, Bourassa) partageaient largement ce nationalisme identitaire.
Le schisme dont il est question, c'est l'infiltration de l'idéologie multiculturaliste canadienne promue par Trudeau-père tant chez les indépendantistes que chez les Libéraux. Après le référendum de 1995, cette idéologie va contaminer aussi bien les Libéraux que les Péquistes et les Solidaires, ainsi que toutes les institutions porteuses de l'hégémonie culturelle: Boisclair, Lucien Bouchard, Duceppe, Gérard Bouchard, Radio-Canada, etc. Selon cette idéologie, les Québécois passe d'opprimés à oppresseurs, de maîtres chez eux à maîtres chez les autres, de victimes à bourreaux, de la révolte du colonisé au repli identitaire revanchard. La notion de nation est remplacée par celle d'un amalgame de diversités, quitte à laisser en plan une grande partie du peuple québécois d'origine. Tant les Libéraux que les Péquistes doivent conjuguer avec les deux courants (identitaire et multiculturaliste) au sein même de leurs rangs.
Un retour du balancier vers un récit identitaire s'amorce avec la crise des accommodements raisonnables et se prolonge par une récupération de l'histoire de la Nouvelle-France. Ce retour prend chaque jour de la force; il a trouvé sa voie politique à l'intérieur de la CAQ mais la guerre culturelle demeure forte car le multiculturalisme exerce une hégémonie culturelle considérable dans notre société.
D'où la configuration nouvelle des blocs politiques actuels au Québec: du côté identitaire, la CAQ et (en partie) le PQ, du côté multiculturaliste, les Libéraux, QS et (en partie) le PQ. Ou, dit autrement, l'identité sans indépendance (la CAQ) ou l'indépendance sans identité (QS).
Étienne-Alexandre Beauregard accorde un entretien à Alexis Tétreault dans le cadre du balado «À la recherche du Québec». On remarque qu’en une heure et demi d'entrevue,
Étienne-Alexandre mentionne des dizaines de noms de politiciens-clé dans ce
débat, mais à peine une fois ou deux, en passant, le nom de René Lévesque,
l'homme politique que tous les Québécois reconnaissent comme l'homme politique
le plus important depuis la Révolution tranquille. Même François Legault se
réclame de Lévesque.
J'aurais beaucoup à dire mais je vais me limiter pour le moment à soulever une question.
Je demanderais à Étienne-Alexandre: Où se situait René Lévesque? Dans le courant identitaire, sans doute, mais il n'aimait pas du tout le RIN, il n'aimait pas non plus Camille Laurin, le héros des identitaires. Lévesque se définissait avant tout comme un démocrate. Il préférait la souveraineté politique avec un nouveau pacte économique avec le Canada. C'est un peu troublant.
Pour ma part, dans mon livre sur «Le rêve de Champlain, Papineau et Lévesque: un peuple» – où j'adopte une approche nettement identitaire – je conclus en disant que la meilleure façon de sortir de cette guerre serait peut-être la notion démocratique de citoyenneté, très proche d'ailleurs de la pensée de Lévesque, une citoyenneté québécoise qui rassemble tous les Québécois dans une identité partagée et une vie démocratique hautement décentralisée où toutes les communautés locales, régionales et autochtones ont une large autonomie.
Démocratie et citoyenneté. Je crois que cette voie est plus viable que celle de la victoire d'un camp sur l'autre. L'idée de démocratie, chère à Lévesque et bien enracinée dans l'esprit égalitaire des Québécois, celle d'une république fondée sur la souveraineté du peuple comme celle dont rêvait aussi Papineau et dont rêvent tant de peuples modernes, me parait riche et porteuse.